Interview de Josette Serres - L'accueil collectif des jeunes enfants
L'accueil collectif des jeunes enfants, qu’il s’agisse des crèches ou des structures similaires, soulève de nombreuses questions concernant son rôle et son impact sur le développement de l'enfant. Josette Serres, spécialiste en psychologie du développement et de l’éducation, nous livre son analyse sur ce sujet.
Qu’est-ce qui vous semble le plus important dans l’accueil collectif des jeunes enfants ?
L’accueil collectif répond, en théorie, à plusieurs besoins des adultes. Il permet aux parents de concilier vie professionnelle et familiale, avec plus de souplesse sur les horaires et les jours. De plus, beaucoup de parents voient dans la crèche un moyen de préparer l’enfant à l’école. Mais il y a une question fondamentale qui doit être posée : est-ce réellement ce dont l’enfant a besoin, surtout pendant ses premières années de vie ? Le modèle collectif, qui nous est si familier, n’est-il pas plus une projection des attentes des adultes qu’une réelle adaptation aux besoins des enfants ?
Que pensez-vous de l’idée que la crèche prépare l’enfant à l’école ?
C’est une idée largement partagée, mais elle mérite réflexion. Le problème, c’est qu’on applique un modèle scolaire à des très jeunes enfants, et ce modèle ne correspond pas à leur stade de développement. Pour un enfant de 6 mois à 3 ans, la notion de collectif, dans le sens où nous la comprenons, n’a pas de sens. L’enfant à cet âge a besoin de la proximité et de la sécurité d’un adulte. On ne peut pas simplement "imposer" un environnement collectif où les interactions sont multiples et où l’adulte devient une figure partagée entre plusieurs enfants. Cela peut créer plus de confusion que de bénéfices, surtout pour les plus jeunes.
Que diriez-vous de la socialisation en crèche, qui semble être un objectif majeur de l'accueil collectif ?
La notion de socialisation est souvent mal comprise. En crèche, les enfants rencontrent d’autres enfants, mais cela ne signifie pas qu’ils sont en train de se "socialiser" dans le sens où on l’entend souvent. La socialisation, c’est avant tout savoir communiquer. Les enfants apprennent à entrer en relation avec l’autre, mais ils ont d’abord besoin d’apprendre à communiquer, ce qui passe par des échanges simples avec les adultes. En crèche, l’environnement peut parfois être un obstacle à cette communication, notamment à cause du nombre d’enfants qui rend bien plus difficiles l’identification des signaux de communication
Les bébés, en particulier, semblent ne pas tirer le même bénéfice que les plus grands de l’accueil collectif. Pourquoi ?
C’est tout à fait juste. Les bébés, surtout dans leurs premières années, n’ont pas encore développé les compétences nécessaires pour s’engager dans des interactions sociales complexes. Leur mode de communication est très rudimentaire au départ – pleurs, cris, sourires. Ils ont besoin d’adultes pour les guider dans l’apprentissage de ces codes. La crèche, en réunissant de nombreux enfants, peut devenir un environnement trop chaotique pour que ces premiers échanges puissent se développer correctement. Ce n’est que plus tard, vers 2 ou 3 ans, que l’enfant commence à tenter des interactions avec ses pairs, mais là encore, l’agitation de l’environnement peut perturber ses efforts.
Comment, alors, les adultes peuvent-ils faciliter le développement de la communication chez les jeunes enfants en crèche ?
La communication se construit dans les interactions, et il est essentiel que ces interactions soient de qualité. Pour les bébés, les moments comme les changes ou les repas sont des occasions idéales pour les échanges en face à face, pour les regards, les sourires, et les petits jeux. L’adulte doit être présent, rassurant, et toujours à portée de vue. À partir de 8 mois, les bébés commencent à comprendre le regard et les intentions de l’adulte, et cela devient un élément clé de leur développement. Les adultes doivent aussi être attentifs à ne pas multiplier les allées et venues ce qui peut perturber le processus de communication.
Qu’en est-il des enfants un peu plus âgés, entre 2 et 3 ans ?
À cet âge, les enfants commencent à chercher à entrer en contact avec leurs pairs. Mais ce contact est encore fragile. Les adultes doivent donc créer un environnement où l’enfant peut interagir calmement avec un autre enfant, sans être interrompu constamment par l’agitation des autres. Il est crucial que le matériel de jeu soit adapté, avec des objets identiques pour favoriser l’imitation, et que les adultes considèrent un conflit comme une tentative de contact, et non comme une agression. Les morsures, par exemple, sont souvent un signe que l’enfant ne trouve pas d’autre moyen d’exprimer son besoin de contact. L’adulte doit l’accompagner pour l’aider à trouver des formes de communication plus adaptées.
Et les enfants de 3 ans ?
À cet âge, les enfants commencent à mieux comprendre que leurs désirs ne sont pas nécessairement partagés par les autres, et c’est à ce moment-là que le langage oral devient crucial. La communication verbale devient l’outil principal pour éviter les malentendus et pour exprimer ses besoins. Les adultes doivent aussi leur enseigner la notion de tour de parole et les aider à développer leur capacité d’écoute. Les jeux qui impliquent des attentes et des échanges, comme ne pas toucher un jouet avant un signal ou attendre son tour pour construire une tour, peuvent être très utiles.
Pour conclure, quel est le principal problème lié à l’accueil collectif des jeunes enfants aujourd’hui ?
Le principal problème réside dans l’oubli des véritables besoins des enfants. Les parents, dans la recherche d’une place en crèche, oublient parfois qu’ils choisissent ce mode de garde pour permettre à leur enfant de grandir et de développer des bases solides pour sa vie sociale. La crèche ne doit pas être vue comme une préparation à l’école, mais comme un lieu où l’enfant apprend à communiquer, à découvrir l’autre, et à comprendre ses premiers rapports sociaux. Les trois premières années de vie sont fondamentales, et c’est dans ce cadre que l’accueil collectif doit être adapté pour soutenir le développement de l’enfant de manière saine et respectueuse.